Les citoyens genevois se rendront aux urnes dimanche 24 novembre prochain, avec la possibilité de garantir un meilleur contrôle de l’expérimentation animale. Luc Fournier, président de la LSCV et membre du comité d’initiative, nous en parle plus en détails.
La population va enfin savoir ce qui se passe réellement dans les laboratoires de l’Université et des HUG, et ils ont raison d’avoir peur.
Quels changements l’adoption de ce texte apporterait-elle à la législation actuelle ?
Luc Fournier : La législation fédérale oblige chaque canton qui autorise des expériences sur les animaux à créer une commission indépendante de l’autorité, composée de spécialistes et de protecteurs des animaux. Le but de cette commission est de participer aux contrôle des expériences et animaleries, et de préaviser les demandes d’expériences déposées par les chercheurs. Mais le préavis donné par la commission à l’autorité reste indicatif. L’autorité peut ainsi délivrer une autorisation même si la commission s’y est opposée ou si elle est contraire aux conditions fixées par la loi. Et il n’existe aucun moyen juridique pour les membres de la commission, ni d’ailleurs quiconque de la société civile, pour s’opposer à l’autorisation.
C’est un réel problème, en premier lieu pour les animaux expérimentés, mais aussi d’un point de vue démocratique. Aucune décision administrative ne devrait être à l’abri d’une contestation. La nouvelle loi genevoise qui est soumise à votation populaire le 24 novembre prochain vise notamment à donner un droit de recours à chaque membre de la commission contre une autorisation délivrée par l’autorité cantonale.
Actuellement, l’autorité peut délivrer une autorisation même si la commission s’y est opposée ou si elle est contraire aux conditions fixées par la loi. C’est un réel problème, en premier lieu pour les animaux expérimentés, mais aussi d’un point de vue démocratique.
L’initiative demande un meilleur contrôle de l’expérimentation animale. Il y a donc des manquements dans la surveillance de ce qui se passe aujourd’hui dans les laboratoires genevois ?
Il y a surtout un manque de contrôle sérieux, par désintérêt des membres de l’actuelle commission et par manque de moyens alloués à l’autorité. Le Conseil d’État qui intervient dans la composition de la commission y nomme par exemple des protecteurs des animaux inconnus de nos organisations ou qui ne prennent manifestement par leur mandat au sérieux. Le dernier rapport d’activité de la commission, qui porte sur une durée de quatorze mois, mentionne seulement sept contrôles d’expériences, durant lesquels aucune non-conformité n’a été observée. Avec une moyenne d’un contrôle tous les deux mois, les membres de cette commission et pseudo protecteurs des animaux démontrent leur inutilité dans cette fonction. Pour avoir contrôlé durant de nombreuses années des expériences, il ne m’est jamais arrivé de ne constater aucune non-conformité sur une même période, bien au contraire. Les violations des dispositions légales étaient régulières.
La clé de ces commissions, c'est l'indépendance. Isabelle Chevalley, conseillère nationale
À peine la campagne lancée, l’Université et les HUG sont montés au créneau. La peur qu’ils affichent trahit-elle des pratiques pas toujours légales ?
Ce qui inquiète surtout ces institutions, c’est le droit de recours accordé aux membres de la commission et la levée du secret de fonction lié à ces procédures. En clair, c’est surtout la transparence qui fait peur. Il est facile de dire que tout est strict et contrôlé lorsque les rares personnes qui sont impliquées dans cette surveillance sont muselées par le secret, sous peine de sanctions pénales. La population va enfin savoir ce qui se passe réellement dans les laboratoires de l’Université et des HUG, et ils ont raison d’avoir peur.
Certains militants pour les droits des animaux regrettent que l’abandon pur et simple de l’expérimentation animale ne soit pas exigé. Qu’en penses-tu ?
Qu’il est toujours commode de disserter confortablement assis derrière un écran. Surtout lorsqu’on ne subit pas les conséquences de son opinion. Toutes les tentatives menées ces 30 dernières années pour abolir l’expérimentation animale ont échoué. Pour les animaux, rien ne change. La population a avant tout besoin d’être rassurée sur la capacité à continuer à faire de la recherche médicale sans animaux. C’est aussi ce que fait la LSCV, en soutenant financièrement des projets qui visent le remplacement de l’expérimentation animale.
La population pourrait, à tort, avoir peur que la recherche ralentisse en raison d’oppositions aux projets et que cela entrave le développement de nouvelles thérapies. C’est absurde mais c’est ce discours qu’utilisent l’Université et les HUG pour sauver leur intérêts.
Dans quelques années, j’ai la conviction que nous aurons fait suffisamment de progrès dans ce domaine pour réussir à convaincre la population que l’intérêt de la santé publique se situe justement dans le remplacement de l’expérimentation animale. Mais on ne va pas attendre encore des années sans rien faire pour les animaux actuellement enfermés dans les laboratoires. Grâce au texte soumis à votation, on aura déjà la possibilité d’en sauver quelques milliers rapidement. Ce n’est pas beaucoup, mais c’est déjà inespéré pour les animaux concernés. Ce d’autant que les expériences qu’il sera le plus facile à interdire seront celles qui infligent les douleurs et maux les plus violents aux animaux.
Exemple de nage forcée infligée à un rongeur dans un modèle de dépression.
Quelle mécompréhension pourrait pousser les citoyens à refuser cette initiative ?
La peur que la recherche ralentisse en raison d’oppositions aux projets et que cela entrave le développement de nouvelles thérapies. C’est absurde mais c’est ce discours qu’utilisent l’Université et les HUG pour sauver leur intérêts.
On entend souvent que la législation suisse concernant les animaux est l’une des plus strictes du monde. Est-ce un frein à une évolution vers des lois plus éthiques dans notre pays ?
Ça peut l’être dans des domaines comme l’élevage par exemple, parce que cela peut inciter à continuer à exploiter et manger des animaux au prétexte qu’ils auraient été bien traités jusqu’à leur abattage. Dans le domaine de l’expérimentation animale, c’est peut-être différent. Déjà parce que c’est souvent en raison des nombreuses contraintes administratives que les chercheurs essaient de développer des méthodes de recherche sans animaux. Et comme c’est probablement l’essor de ces méthodes qui permettra de mettre fin à l’expérimentation animale, cela contribue à faire évoluer au sein de la population la réflexion éthique sur l’injustice qui consiste à torturer des animaux dans les laboratoires.
Plus d’informations : www.meilleur-controle.ch
- propos recueillis par CL -
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